1975-1976 : Qui c'est les plus forts ?

Histoire | Publié le par Jacky | 12 commentaires

Dans le cadre des 90 ans de l’ASSE nous revenons sur les différentes périodes qui ont fait son histoire. Après avoir évoqué la création du club, la première grande domination de l'ASSE sur le football français et de l'arrivée d'Herbin à la tête de l'équipe, nous nous arrêtons aujourd'hui sur les deux années les plus marquantes du club : 1975 et 1976. 

La saison 1973-1974 qui vient de s’achever, a vu l’ASSE retrouver sa place au sommet du football français. Après trois saisons de disette, les Verts ont remporté, outre leur quatrième Coupe de France, un septième titre devant Nantes le tenant, Marseille étant retombé dans l’anonymat, en terminant 12ème.
Robert Herbin n’a eu besoin que de 18 joueurs, pour disputer les 47 matchs de la saison, et la mode n’est pas encore aux «feuilletons mercatos» à épisodes journaliers. Rappelons que seulement deux joueurs étrangers sont admis sur la feuille de match et que, depuis 1967, un seul et unique remplacement par rencontre est autorisé dans les compétitions nationales. Du coup, aucune arrivée notable, autre que celle de l’attaquant Yves Triantafilos, qui revient au club sept ans après l’avoir quitté. Arrive également, Dugalic qui sera la doublure de son compatriote, Curkovic.


Le début du championnat est loin d’être rassurant avec quatre défaites étonnantes en six journées mais tout va rentrer dans l’ordre. C’est après cinq victoires consécutives, que se profile le premier tour de Coupe d’Europe. Personne ne se fait d’illusions, tellement la cote du football français est au plus bas. Comme la précédente au Mexique, la dernière Coupe du Monde organisée par l’Allemagne s’est disputée sans nos tricolores, éliminés par l’URSS. C’est le Sporting de Lisbonne qui se dresse sur la route des Verts qui l’emporteront à la maison (2-0) après un match rugueux. Ce sont les «rouges» qui ramèneront le nul au match retour (1-1). Les deux clubs ayant les mêmes couleurs, les Stéphanois, pour la première et dernière fois, devront revêtir un beau maillot rouge. C’est un club yougoslave peu connu qu’il faut affronter vingt jours après, l’Hajduk Split. Son entraineur, Tomislav Ivic, passera bien plus tard par le PSG et Marseille. Tirage inquiétant, car, la sélection yougoslave est depuis longtemps, l’une des bêtes noires de l’équipe de France. Curkovic, qui lui connait bien ce club, met ses coéquipiers en alerte. Les craintes étaient justifiées. Lors du match aller, disputé sur un véritable bourbier, l’ASSE prend une véritable leçon de football (1-4), dont trois buts après la pause. L’arbitre turc M. Babacan a bien aidé les locaux, qui n’en avaient pas besoin, leur attaquant Surjak ayant mystifié la défense verte, pendant 90 minutes.

Le match retour ne passionne pas vraiment le pays tellement la cause semble entendue. Peu s’en souviennent, mais la télévision ne le diffuse pas, et Geoffroy-Guichard n’est rempli qu’aux deux tiers. Première surprise, Robert Herbin remplace Merchadier blessé, par Gérard Janvion, au poste d’arrière, qu’il n’a jamais occupé. Il a pour mission principale de neutraliser Surjak. Lorsque Jovanovic répond, à l’heure de jeu, à l’ouverture du score avant la pause de Larqué, le stade est anéanti et résigné. Il faut désormais marquer quatre fois, pour se qualifier.
Heureusement, pas le temps de se lamenter. Bathenay redonne, de la tête, l’avantage aux Verts dans la minute qui suit. Geoffroy-Guichard est en folie. Un pénalty pour faute sur Synaeghel transformé par Bereta et un but de «tintin» Triantafilos à la 82ème minute permettent d’arracher les prolongations dans une ambiance indescriptible. Juste avant la mi-temps de ces 30 minutes supplémentaires, une erreur de relance du gardien yougoslave, entraine une faute d’un défenseur, sanctionnée par un coup-franc bien placé. Larqué qui souffre de crampes demande à Bereta de le tirer. Celui-ci, dans le même état, refile la patate chaude à Triantafilos. «Le Grec» ne se pose pas de questions et catapulte la petite passe de «Bérète» dans les filets des Yougoslaves médusés. Jamais Geoffroy-Guichard n’avait vécu une minute de délire pareille. Ce n’est que le lendemain, que la plupart, se frottent les yeux, en découvrant, éberlués, qu’un club français sera présent au printemps prochain, pour disputer les quarts de finale. Traditionnellement, lorsqu’arrivait la reprise de la compétition, les passionnés de foot de l’hexagone, devaient se contenter de suivre, à la télévision, et plus souvent à la radio, les exploits des clubs étrangers. Beaucoup apprécient que tout ça se passe à Saint-Étienne, qui a l’image d’une ville ouvrière, au climat parfois rugueux, mais où simplicité, modestie et travail sont traditions. L’accueil y est réputé chaleureux ! Dans la ville noire, aucune vedette achetée à prix d’or. Une équipe bâtie avec des jeunes venus de la France entière, façonnés dans un centre de formation, précurseur dans le football français. Une équipe à l’image de la ville et un public extraordinaire, véritable douzième homme.


Pourtant cette fin d’année 1975 allait jeter une ombre sur le club avec l’affaire Bereta. L’emblématique enfant de Montreynaud devait, contre sa volonté, quitter le club, pour rejoindre l’Olympique de Marseille. L’ASSE avait, parait-il, besoin d’argent. Sans le prévenir, le président Rocher avait décidé, avec son homologue marseillais Fernand Méric, son transfert pour une somme de 500 000 francs, un beau pactole. Les deux boss ne se doutaient pas que cette décision allait provoquer une immense colère et la fronde du public à l’encontre de Roger Rocher qui dit-on, parviendra à persuader certains, que le capitaine stéphanois est favorable à ce transfert. Bien au contraire le joueur, malgré la promesse du salaire mirobolant qui l’attendait, est complètement anéanti. Roger Rocher ne reviendra pas sur sa décision. 

Avant de se replonger dans les joutes européennes, le parcours en championnat laissait espérer un nouveau titre en fin de saison. Une seule défaite, à Monaco, en 13 rencontres et un cinglant (6-0) contre le Puy en Coupe comme hors d’œuvre, avant le voyage en Pologne qui allait suivre. Le tirage au sort avait désigné Ruch Chorzow champion de ce pays comme prochain adversaire en quarts de finale. C’est dans cette ville de Silésie que l’épopée stéphanoise faillit, encore une fois, prendre du plomb dans l’aile. Heureusement, les Verts menés 0-3, purent limiter les dégâts grace à deux buts inscrits par Larqué et Triantafilos. Cette fois, il fallut jouer des coudes pour obtenir des billets pour le match retour et ce n’est pas qu’une image ! Le manque d’expérience du club, pour ce genre d’événement, était évident. Les places étaient mises en vente au premier étage des bureaux du stade Geoffroy-Guichard. Les employés du club furent vite débordés par les milliers de candidats, massés dans la rue, puis entassés dans les escaliers. Ils étaient d’autant plus nombreux, que beaucoup étaient venus accompagnés, car chacun n’avait droit qu’à deux places. Certains, trop éloignés, envoyaient au club un chèque en blanc, qui était le seul document qu’ils recevaient en retour. C’est sur une pelouse légèrement enneigée que Saint-Étienne obtint, sans trop trembler, sa qualification. Victoire 2-0 devant 38 000 personnes venues de tous les coins du pays ! Une équipe française en demi-finale ! Quoi qu’il arrive la France du football avait retrouvé sa fierté.  


Le jour de cet évènement, le pays tout entier était derrière les Verts. Jamais le Forez n’avait accueilli autant de médias. Le monde du show-biz et de la politique se découvrait subitement, une âme verte (sincère chez certains). Une ancienne connaissance se dressait une nouvelle fois sur la route de Saint- Étienne : Le Bayern de Munich devenu encore plus grand et qui était le tenant du Trophée. L’enjeu était de taille : une finale de C1 qui de plus, allait se dérouler...au Parc des Princes ! Mais cette fois pas de miracle. Beckenbauer, ancien et futur Ballon d’Or, et ses coéquipiers firent valoir leur expérience européenne, celle qui faisait tant défaut au football français. Après avoir obtenu le nul (0-0), sur la pelouse de Geoffroy-Guichard, les Allemands s’imposèrent logiquement chez eux 2-0. L’ASSE quittait la compétition avec les honneurs et tout le monde en redemandait.

Désormais, un nouveau titre était indispensable pour revivre de pareils moments. Il restait huit rencontres de championnat à disputer. L’ASSE déjà en tête, n’en perdra qu’une seule. C’était à Lens, contre qui elle triomphera deux semaines plus tard pour un nouveau doublé en finale de la Coupe (2-0), avec une reprise de volée restée mémorable de Jean-Michel Larqué. Auparavant, le public stéphanois avait assisté à un évènement rarissime à ce niveau. Alors que l’objectif était déjà en poche, le coach Robert Herbin, à la demande des joueurs, rechaussa les crampons qu’il avait mis au clou depuis trois ans, pour disputer le dernier match face à Troyes. Il marqua même sur pénalty le dernier but de la nette victoire (5-1). C’était le 19ème succès des Verts en 19 rencontres à domicile, record toujours pas égalé.

Avant l’exercice 75-76, l’intersaison n’apportera aucune nouvelle arrivée dans l’effectif pro. Une évolution du règlement, autorise un deuxième remplacement par match. La fièvre verte prenait de l’ampleur. La France fut envahie d’une myriade de produits dérivés à l’effigie de l’ASSE : bonnets, écharpes, perruques, drapeaux, tee-shirts…et même des pâtisseries. Saint-Étienne était carrément devenue le siège de toutes sortes de médias à l’affut de la moindre info, pouvant faire le buzz dirait-on aujourd’hui. Robert Herbin parviendra, autant que possible, à maintenir son groupe hors de cette agitation. Un neuvième titre viendra s’ajouter au palmarès, mais ce ne sera pas sans difficultés. L’OGC Nice qui était l’adversaire le plus coriace obtiendra deux nuls contre l’ASSE et terminera à trois points.
La Coupe de France n’encombrera pas la saison, Troyes ayant sorti les Stéphanois dès le premier tour. Encore une fois, c’est en Coupe d’Europe que l’ASSE était attendue. Le premier tour face à Copenhague sera franchi sans difficultés avec deux victoires. Le tirage au sort désignera ensuite un adversaire d’un autre calibre, le club des Glasgow Rangers, qui avait déjà éliminé l’ASSE lors de sa première expérience européenne en 1957. Devant près de 30 000 personnes, l’AS Saint-Étienne confirmera son succès des années 50 à domicile en l’emportant (2-0). Par contre la surprenante victoire stéphanoise en Ecosse (2-1) va déjouer beaucoup de pronostics. Dominique Rocheteau, remarquable, devient «l’Ange vert». Le prochain obstacle qui se présente est l’un de ceux qui étaient les plus redoutés. Il s’agit du Dynamo de Kiev, considéré alors, comme l’une des meilleures équipes du continent, si ce n’est la meilleure. Vainqueurs de la Coupe des Coupes, la saison précédente, les Soviétiques ont également remporté la Supercoupe UEFA en battant à deux reprises le Bayern Munich. Son redoutable attaquant, Oleg Blokhine, a été sacré Ballon d’Or. C’est lui qui a privé la France de Coupe du Monde en Allemagne, en inscrivant le but vainqueur de l’URSS en match éliminatoire. Kiev envahi par la neige, la rencontre est délocalisée à Simféropol, en Crimée, ou ce n’est guère mieux. Images étonnantes, avant le match, la pelouse est déneigée grâce à des turbines d’avions. Durant leur séjour, les joueurs sont sous la surveillance permanente de soldats, qui veillent à ce que personne ne les approche. Par contre, ils n’empêchent pas quelques énergumènes, de faire du bruit dans l’hôtel toute la nuit. La défaite sur le score de 0-2, dans d’affreuses conditions climatiques, est un moindre mal, tant la supériorité soviétique était flagrante. Une leçon de ballon très inquiétante, qui ne laisse rien augurer de bon, dans l’optique du match retour. En cette soirée de mars 1976, le Chaudron est chaud bouillant, quand les deux équipes sortent du tunnel. Blokhine avouera plus tard, avoir été surpris et impressionné à ce moment-là. Il faut préciser qu’à cette époque, les deux équipes s’échauffaient sur le terrain annexe. Elles ne pouvaient donc pas, comme aujourd’hui, s’imprégner avant le match, de l’ambiance du stade. Les visiteurs qui ne connaissaient pas Geoffroy-Guichard pouvaient être un peu déboussolés, en entrant sur le terrain. Tout le monde connait le scénario de la rencontre et personne n’a oublié cette fameuse 64ème minute qui allait décider de l’avenir de l’ASSE. Alors que le score est toujours de (0-0) Blokhine parti de son camp, grille la politesse à tout le monde, mais seul devant Curkovic, il tergiverse, perturbé par le retour de Lopez, oubliant même un partenaire complètement seul à cinq mètres de lui. Finalement il est repris par le défenseur stéphanois qui dégage comme il peut, et l’action se terminera par un but d’Hervé Revelli. Elle a durée 24 secondes, et l’épopée stéphanoise aurait sans doute pris fin à cet instant, sans l’égoïsme du ballon d’or russe. La suite sera cauchemardesque pour les hommes du réputé coach Valeriy Lobanovskiy. Superbe coup franc de Larqué à la 71ème et but de Rocheteau en prolongation, grâce à un numéro remarquable de Patrick Revelli. L’Ange Vert fou de joie, et qui, subitement, ne sent plus ses crampes, sprinte alors dans tous les sens, poursuivi partout sur le terrain, par les photographes. Ces images, inimaginables aujourd’hui, sont restées dans toutes les mémoires. Le PSV Eindhoven champion des Pays Bas, sera lui aussi un très difficile adversaire en demi-finale. Après une courte victoire à domicile (1-0) grace à un but de Larqué, l’ASSE ramènera un héroïque match nul au retour (0-0). On ne rêve pas, 17 ans après le stade de Reims, un club français est en finale de la grande Coupe d’Europe ! On considère aujourd’hui que cet évènement a complètement décomplexé notre football.

C’est à Glasgow que l’on va avoir une nouvelle preuve que la fièvre verte était un phénomène exceptionnel jamais vécu dans notre pays. 25 à 30 000 supporters étaient là, et beaucoup déambulaient dans le centre-ville ce 12 mai 1976. À chaque coin de rue tous les accents de France se faisaient entendre, une immense artère piétonne était toute verte. C’était également la couleur nettement dominante des tribunes du vieil Hampden Park, avec en supplément le public écossais très favorable aux Français. Pourtant l’inquiétude règne dans les travées. Une semaine auparavant, nous avions assisté à une véritable boucherie de la part du Nîmes-Olympique en visite à Geoffroy-Guichard. Gérard Farison et Christian Synaeghel sortis blessés ne disputeront pas la finale. Une vague d’indignation traversa le pays, le club gardois était devenu le plus détesté de France. Heureusement le groupe vert est de qualité. Repellini et Santini, appelés pour remplacer les éclopés, ne démériteront pas. Dominique Rocheteau, lui, qui revenait de blessure, sera sur le banc et ne jouera qu’une dizaine de minutes en fin de rencontre, suffisamment pour démontrer que sa présence, dès le coup d’envoi, aurait pu tout changer. La courte défaite (0-1) n’en sera que plus amère. Les poteaux carrés de ce stade qui ont renvoyé deux tentatives de Bathenay et Santini sont entrés dans la légende, ainsi que le but allemand inscrit sur un coup-franc généreux, accordé par l’arbitre Hongrois M. Palotaï et joué pendant que le mur se mettait en place. La presse Ecossaise, parlera de « larcin, » celle d’Angleterre de « vol », et en Espagne on affirmera que « ce ne sont pas les meilleurs qui ont gagné ». La descente des Champs-Elysées, manigancée par France Inter le lendemain, n’était pas du meilleur goût, après un échec, mais son succès fera de Saint-Étienne ce jour-là, la capitale de la France. Quel que soit son club favori, on dansera et on chantera partout, tout l’été, sur la chanson de Monty « Allez les verts ! ", car qui c’est les plus forts… Absolument personne n’en doutait, des finales européennes, l’AS Saint-Étienne en jouera d’autres. Nul ne pouvait imaginer ce qui allait suivre.

Palmarès des saisons 1974-1975 et 1975-1976 : 

  • 2 titres de champion
  • 1 Coupe de France
  • 1 Demi-finale de Coupe des Clubs Champions (C1)
  • 1 Finale de Coupe des Clubs Champions (C1)


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