Ce n'était que le début... l'ASSE "un club de millionnaires"
Alors que le club fêtait ses 90 ans en début de semaine, nous revenons sur les différentes périodes qui ont fait son histoire. Première époque aujourd’hui, de la création de l’ASSE à 1960.
À l’origine de l'ASSE il s’agissait pour les dirigeants de Casino de donner à leurs employés un moyen de se distraire, de se défouler en oubliant le dur labeur de la semaine, tout en améliorant leur santé et leur forme physique. Tel est l’objectif des « patrons paternalistes », comme l’était Geoffroy Guichard, en ce début de 20ème siècle. Sur le papier, tout le monde y trouve son compte. L’ouvrier bénéficie d’une distraction ludique, délassante, pratiqué au grand air et surtout gratuite. Le patron, qui tout en participant au bien être de son personnel, renforce la cohésion de ses troupes, en leur permettant de se rencontrer, de se connaître, autrement que dans les boutiques ou dans les usines devant leurs postes de travail.
Nous célébrons cette année le 90ème anniversaire de la naissance de l’ASSE mais, peu d’entre nous se souviennent que c’est la puissance financière de la famille Guichard qui permit cet accouchement, alors qu’un autre club de la ville avait été pressenti. Sportivement c’est le Sporting de Saint-Étienne qui avait été plébiscité par les instances, car ses performances dans les rangs amateurs étaient bien supérieures à celles de la future ASSE. Malheureusement pour ce club, il ne pouvait pas présenter les garanties financières exigées, ce qui ne posait pas de problème au propriétaire de Casino.
La première équipe de l’ASSE fut constituée selon les pratiques de l’époque. On allait souvent chercher des entraineurs et des joueurs originaires des pays où le professionnalisme était déjà bien implanté, mais aussi dans les clubs français qui possédaient une solide expérience au plus haut niveau de l’époque. Il faudra cinq saisons de D2 pour se faire une place parmi l’élite. Quatre entraineurs ont été nécessaires, trois britanniques (Locke, Rivers et Duckworth) et un Hongrois, Vago. C’est finalement William Duckworth, rappelé après avoir été viré deux ans auparavant, qui emmènera le club en 1ère division en 1938. Le recrutement fut conséquent, les mauvaises langues parlaient alors de « club des millionnaires ». La première saison en D1 fut plus qu’honorable (4e) et pour la première fois un Stéphanois fut appelé en équipe de France. L’avant-centre Ivan Beck, qui avait, avant sa naturalisation, disputé la première coupe du monde, avec la Yougoslavie, son pays d’origine. Malheureusement les promesses engendrées par les bons débuts stéphanois au plus haut niveau, resterons sans suite immédiate. La guerre est désormais la préoccupation première des Français.
C’est au début du conflit en 1940 que disparait Geoffroy Guichard, le « grand-père de l’ASSE ». Pierre son fils, contraint d’assumer de plus importantes responsabilités au sein de Casino, quittera la présidence du club en 1943. Il faut dire que la mascarade, que connut cette année-là, le football français, ne l’incita pas à poursuivre. En effet, le gouvernement de Vichy, par l’intermédiaire de son commissaire au sport, le Colonel Pascot, estima que le professionnalisme était une gangrène néfaste pour la société. Les 32 clubs pros, redeviennent amateurs. Ils sont autorisés à disputer les compétitions de ce niveau, et la Coupe. Ils sont remplacés par 16 équipes fédérales. Certains joueurs des clubs déclassés, sont réquisitionnés, pour constituer ces équipes fédérales qui, elles, disputeront un championnat interrégional et la Coupe de France. Les joueurs « sélectionnés », seront payés par l’état, comme fonctionnaires. Sept joueurs de l’ASSE furent désignés pour intégrer l’équipe Lyon-Lyonnais. Parmi eux Snella, Tax, Lauer et Casy, refusèrent cet « honneur ». Ils furent radiés à vie … La libération remettant tous dans l’ordre.
C’est aussi pendant la guerre que l’ASSE fut pour la première fois entrainée par un français, Emile Cabannes qui avait porté le maillot vert quelques années auparavant.
C’est un autre joueur, Ignace Tax excellent technicien, qui lui succèdera. La saison de reprise 1945-46 sera très prometteuse (2e) mais les performances qui suivront ne seront pas à la hauteur des espérances.
Début 50, le club fait face à de grosses difficultés financières et ne doit sa survie que grâce à l’aide de la municipalité d’Alexandre de Fraissinette. On raconte que celle-ci, fut piquée au vif par l’intéressement insistant d’un nouveau club qui souhaitait débaucher certains joueurs stéphanois. Ce nouveau club c’était l’Olympique de Lyon. Tout cela et la maladie de Maitre Perroudon le président, entraine le retour de Pierre Guichard à la barre du navire vert. L’une de ses premières décisions sera de remercier Ignace Tax. Pour le remplacer il se tourne vers un autre ancien joueur, qui s’occupe des amateurs tout en tenant un bar dans la ville, Jean Snella. Pierre Guichard ne le sait pas encore, mais il vient de prendre une initiative qui a changé à jamais l’histoire du club.
Dans la foulée, il y aura d’autres arrivées capitales : Pierre Faurand à la présidence. Charles Paret cadre de Casino, qui sera un infatigable secrétaire général, et Pierre Garonnaire qui deviendra un maitre du recrutement. Des noms que tous les supporters de l’ASSE, 90 ans plus tard connaissent encore tous. La saison 50-51, première saison qui suit ces grands changements sera pourtant mitigée en championnat, mais plus passionnante en Coupe de France. L’ASSE n’échoue qu’aux portes de la finale, battue en demies par Valenciennes. C’est encore un club nordiste, Lille OSC, qui en 52-53 fera subir le même sort aux stéphanois, toujours en demies.
En 1955, un premier trophée vient enfin prendre place sur l’étagère du siège. Ce n’est pas le plus prestigieux mais il compte dans un palmarès. Il s’agit de la Coupe Drago qui était une épreuve destinée aux clubs éliminés de la Coupe de France avant les quarts (ndlr : Charles Drago était le nom de l’artisan niçois qui avait fabriqué le trophée.) Une prometteuse 4ème place couronnera la saison 55-56 avec en supplément, le titre de la réserve en CFA. La saison suivante sera celle de l’apothéose.
L’ASSE est sacrée championne de France pour la première fois de son histoire, après 13 saisons disputées au plus haut-niveau. La performance est d’autant plus méritoire que ces années 50 sont dominées essentiellement par deux clubs. L’OGC Nice 4 titres et le Stade de Reims 3. Bordeaux, Lille et donc l’ASSE sont les autres champions de la décennie. Ceux qui ont écrit cette première page de la légende méritent bien d’être cités :
Abbes – Richard et Michel Tylinski – Wicart – Casado – Domingo – Ferrier – Peyroche – Wassmer – Goujon – Jean Oleksiak – Fouillen – N’Jo Léa -Rivers – Mekhloufi – Lefèvre – Jean Snella.
Le jeu offensif était tellement pétillant que l’attaque stéphanoise fut qualifiée dans la presse de « Rock n’Roll ». 88 buts inscrits en championnat dont 35 par N’Jo Léa et 27 par Mekhloufi. L’ASSE remportera également le trophée des Champions en battant Toulouse vainqueur de la Coupe. À l’international, c’est la 3ème édition de la Coupe d’Europe des clubs Champions que vont disputer les Stéphanois. Un public record déferle à Geoffroy-Guichard pour la réception des Rangers. Beaucoup d’entreprises ont aménagé leurs horaires pour que leurs employés assistent au match. Malheureusement la défaite du match aller (1-3) ne pourra être remontée. L’ASSE quitte l’épreuve malgré une victoire (2-1).
La même année arrive à Saint-Étienne un jeune espoir du football français, Pierre Garonnaire a convaincu ses parents de l’envoyer à Sainté, alors que lui aurait préféré Nice ou Monaco. Il avouera plus tard qu’il ne pensait pas rester plus de deux ans dans le Forez. Robert Herbin y passera toute sa vie.
Les dernières saisons de la décennie ne confirmèrent pas la nouvelle suprématie stéphanoise. En 1958 Alors que sévissait le conflit en Algérie, Rachid Mekhloufi choisit de rejoindre l’équipe du FLN, qui se produisait un peu partout dans le monde, pour promouvoir pacifiquement la volonté d’indépendance de leur pays. L’année suivante, 1959, Jean Snella, quitte le club sans que l’on connaisse les raisons de son départ. Il rejoint l’équipe du Servette de Genève qui ne brille pas dans le championnat suisse. René Vernier encore un ancien joueur le remplace. Il est le 8ème à occuper le poste, six ont également joué en vert. Pierre Faurand, le premier président stéphanois à avoir glaner des titres, miné par les critiques, attrape une jaunisse et en pleine dépression doit abandonner son poste. Pierre Guichard revient une nouvelle fois aux affaires, ce sera la dernière.
La saison 59-60, la première de l’après Snella, fut celle des contrastes. Décevante en championnat (12e) elle sera en partie sauvée par un beau parcours en Coupe. Malheureusement l’ASSE échouera, pour sa première finale, face à Monaco après prolongations (2-4). René Domingo avait pourtant donné l’avantage aux Stéphanois (2-1) à quatre minutes de la fin. Moins d’un an après, Pierre Guichard passe le flambeau à son collaborateur favori, Roger Rocher. « L’homme à la pipe » va durant ses 21 années de présidence, faire de l’ASSE le plus grand club de France, avant de connaitre une brutale décadence. Mais ça, c’est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons dans le second épisode de cette mini-série.
Le palmarès de l’ASSE sur la période (1933-1960) :
- Championnat de France de D1 : 1957
- Trophée des Champions : 1957
- Coupes Drago : 1955 et 1958