Lutte contre le sexisme dans les stades, à la rencontre d'Her Game Too
Nous sommes partis hier matin à la rencontre de Louise Poyard, ambassadrice à Saint-Étienne de l'association Her Game Too, qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les stades. Cette dernière nous présente l'association et le travail effectué à Saint-Étienne.
Bonjour Louise, pouvez-vous nous présenter l’association Her Game Too et notamment ses missions ?
Her Game Too est une association anglaise fondée fin 2020, courant 2021, initialement par un groupe de six anglaises, supportrices de foot, qui sont parties du triste constat que les stades étaient aussi un lieu de sexisme et où avaient lieu des agressions sexuelles et sexistes. Ces jeunes femmes ont souhaité créer cette association afin de lutter contre le sexisme en tribune tout d’abord dans le foot puis d’autres branches ont été créées dans d’autres sports. La branche française de Her Game Too a été créée quant à elle fin 2022.
"On ne veut pas du tout venir reprocher aux ultras leur fonctionnement, on voulait juste pouvoir discuter avec eux et leur faire comprendre qu’être une femme en tribune c’est comme malheureusement dans n’importe quel autre lieu public, on est victimes de sexisme voir d’agressions sexuelles"
Nous avons appris que vous avez rencontré les groupes de supporters ce week-end, comment cela s’est passé, quelles ont été les discussions et surtout qu’en est-il ressorti ?
Je suis ambassadrice à Saint-Étienne et abonnée en Kop Sud. Nolwenn est ma déléguée et elle est abonnée en Kop Nord. On a rencontré les Green Angels ce week-end. Je sais que Romain (Ducarre), le SLO (référent supporter, ndlr) leur avait parlé de nous, de notre association et ils étaient très volontaires pour nous rencontrer donc c’était déjà une première bonne nouvelle de savoir que les supporters voulaient être à l’écoute de ce qu’on défend et des valeurs qu’on veut défendre dans le monde du foot. On a essayé déjà de leur expliquer qui on était, ce que faisait l’association et aussi ce que Nolwenn et moi, on représentait pour le club et pour l’association, à savoir qu’on est toutes les deux abonnées.
On ne veut pas venir s’opposer aux groupes ultras. On sait comment ils fonctionnent, on est d'accord avec ça, c’est un milieu dans lequel on évolue plus ou moins proche parce que ni elle ni moi ne sommes encartées dans les groupes mais on est en kop tous les week-ends. On ne veut pas du tout venir reprocher aux ultras leur fonctionnement, on voulait juste pouvoir discuter avec eux et leur faire comprendre qu’être une femme en tribune c’est comme malheureusement dans n’importe quel autre lieu public, on est victimes de sexisme voir d’agressions sexuelles et qu’en fait on a envie de profiter de nos matchs comme les hommes et qu’on sait que les mentalités ne changeront pas et les fonctionnements ne changeront pas sans leur appui à eux.
"Les supporters ont été très à l'écoute et hyper disponibles"
Ils ont été hyper à l’écoute, c’était très chouette parce qu’ils ont vraiment écouté ce qu’on avait à dire, sans nous couper la parole, sans chercher à nier ce qu’on pouvait vivre, ce sont déjà de très bons indicateurs. On n'a pas encore discuté concrètement de comment on pouvait agir ensemble ou de comment ils pouvaient nous aider ou vice-versa, mais en tout cas, c’était chouette de voir leur écoute sur deux points. À savoir un premier point un peu infrastructures, on va dire : dans les toilettes des femmes il n'y a pas de poubelles, pas de protections hygiéniques à disposition et pour 90 minutes ou plus, car on est dans un stade pour souvent beaucoup plus longtemps que 90 minutes, c'est compliqué parfois. On a parlé aussi des déplacements, puisqu’ils parlaient d’Ajaccio par exemple la semaine dernière, où ils ont dû attendre six heures sur une plage. Six heures sur une plage quand tu es un homme pour aller aux toilettes, c’est une chose. Quand tu es une femme, c’en est complément une autre donc on a discuté de ces points sur lesquels on pouvait être vigilants tous ensemble : le club, les supporters et nous en tant qu’association. Autre point beaucoup plus "communicationnel" : dans un monde idéal, qui que ce soit qui se fait agresser, homme comme femme, là en l’occurrence au niveau des agressions sexistes, on voudrait que n’importe qui se sente suffisamment à l’aise si elle ou lui subit une agression de venir voir les capos, les leaders ultras pour pouvoir faire remonter ça, témoigner, qu’on soit témoin ou victime. Idéalement si on est victime qu’on se sente suffisamment à l’aise pour y aller, on a discuté de ça. Ils sont forcément vigilants, ils étaient très à l'écoute de ça et hyper disponibles en tout cas pour discuter de comment on pouvait mettre ça en place.
Le mois dernier, une plateforme de signalement a été créée, pouvez-vous nous expliquer son but ?
La plateforme existe depuis la création de l’association anglaise. C’est un formulaire, un Google form, qu’on peut remplir si on a été témoin ou victime d’agression(s) en tribune ou en marge d’un match notamment pendant les fouilles d’accès au stade. Ça remonte jusqu'à nous en tant qu’association, on agit en fonction de ce que la victime ou le témoin nous dit, c’est-à-dire que s'il faut remonter au club, on remonte les informations au club, si la personne souhaite nous faire remonter ça à nous, on le garde pour nous. En tout cas, on s’engage à apporter l’aide et le soutien que demandent les victimes, on n'impose rien, on est tout à fait disponible aussi pour accompagner s'il y a une envie de dépôt de plainte ou autre.
Si la victime veut déposer plainte, elle ne connaît pas forcément le nom et prénom de la personne à côté d'elle en tribune, comment cela se passe ?
C’est bien tout le problème, on essaye d’avoir le plus d’information possible mais c’est souvent compliqué, c’est pour ça qu'on veut aussi avoir l'appui de tout le monde, des stadiers, des ultras. L’idée n’est pas de faire une chasse aux sorcières mais on aimerait une tolérance zéro sur ce genre de comportements à la manière d’autres comportements violents en tribune.
"Personne ne devrait accepter de se faire toucher les parties intimes encore moins sans son consentement pendant une fouille"
Trouvez-vous que les mentalités ont changé et qu'elles se sont améliorées ces dernières années ?
Le très bon exemple sur le sujet, c’est exactement ce dont on vient de parler. On souhaite parler aux groupes ultras des violences en tribune et on se retrouve avec Nolwenn en face de quatre leaders, hommes, qui sont tout à fait disposés à nous écouter en avant-match, donc c’est super positif. Il y a encore énormément de chemin, sinon on ne serait pas là et l’idée, c’est que tout ce que l’on met en place ne serve jamais évidemment mais on sait que malheureusement ce n’est pas le cas. Il y a encore beaucoup trop d’agressions et de violences en tribunes et dans les stades. On l’a vu par exemple avec les réactions par rapport aux agressions pendant les fouilles de Barcelone-Paris. Anoush Morel, la présidente de l’asso, est venue témoigner sur L'Équipe TV et le passage a été mis sur les réseaux sociaux. Les commentaires étaient tous plus affreux les uns que les autres. Elle a reçu beaucoup de commentaires de soutiens bien heureusement mais il y a eu énormément de classiques : “retournes en cuisine, tu n'as rien à faire dans un stade”, “ta place, c’est pas ici” ou alors même des gens qui banalisent ces comportements comme : “bah oui mais c’est comme ça, tu sais à quoi tu t’attends”, “c’est la réalité du stade”. Mais en fait non, ce n'est pas normal pour une femme de se faire agresser pendant les fouilles mais ce n'est pas normal pour les hommes non plus. Personne ne devrait accepter de se faire toucher les parties intimes encore moins sans son consentement pendant une fouille, c’est pas comme ça que doivent se passer les fouilles. Et je ne parle même pas des agressions qu’on subit en tribune où là aussi, quand c’est médiatisé, on a les sempiternels : “bah elle cherche aussi, elle n'a rien à faire là” ; “qu’est ce qu’elle fiche en tribune sans homme”. Donc les mentalités évoluent oui, mais on est encore sujettes au harcèlement en ligne ou aux commentaires très violents anonymes ou pas d’ailleurs, sous les posts des réseaux sociaux, sous les articles qui médiatisent ce sujet.
"Mettre à disposition si possible des protections hygiéniques et des poubelles dans les toilettes des stades"
Quelles sont les prochaines actions que vous souhaitez mener ?
À l’échelle de Saint-Étienne, comme le club l'avait annoncé en mars, il s’est engagé à mettre en place un groupe de travail semestriel sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, avec plein de membres à différents niveaux du club : dirigeantes, joueuses, stadières, avec nous, Nolwenn et moi pour travailler sur ces sujets et voir comment les choses qu’on met en place évoluent. Sinon pour nous, en tant qu’association, c’est de continuer à essayer de mettre en place des partenariats avec les clubs pour pouvoir communiquer là-dessus. Aller former nos groupes de stadiers dans les écoles de foot à la réalité des discriminations sexistes et sexuelles, à ce que sont les violences sexistes et sexuelles de manière générale et dans le stade. Continuer à pouvoir mettre en place nos formulaires de signalement dans les clubs, mettre à disposition si possible des protections hygiéniques et des poubelles dans les toilettes des stades pour que ces stades soient plus inclusifs et accueillants pour les femmes pendant les matchs.