Piquionne : "Tout ce cinéma pour qu'à la fin tu me laisses partir"
Frédéric Piquionne était l'invité de Colinterview et a évoqué son arrivée dans la Loire mais aussi son tumultueux départ de l’ASSE qui avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque.
Ancien stéphanois passé dans le vestiaire de l’ASSE durant les années 2004 à 2007, Frédéric Piquionne est revenu sur ce qui l’a amené à rejoindre les Verts : "Mon agent m’a surtout dit qu’il y avait Saint-Étienne qui allait monter (en Ligue 1, ndlr). Je suis allé voir un match de Sainté, le jour où justement Bridonneau met ce but pour la montée (ASSE 2-1 Châteauroux, 38ème journée de Ligue 2 2003/2004, ndlr). J’étais dans la tribune et je me suis dit “les supporters, bordel le club”. Après bien évidemment, tu commences à te replonger dans l’Histoire, tu vois que Platini a joué là-bas, tu vois que ça a été un grand club français. Finalement, tu te dis pourquoi pas en fait. Puis j’ai déjeuné avec Damien Comolli, Romeyer, le coach Élie Baup (...) Ils voulaient des joueurs un peu aguerris de Ligue 1. Mais quand j’arrive à Saint-Étienne, Feindouno, Piquionne, Camara, Le Tallec, ce n’était pas non plus les plus aguerris… (sourire). Je ne vais pas dire que ce n’était pas des grands noms de la Ligue 1, qui avaient explosé la Ligue 1, mais on est venu pour aider le club à se maintenir, et on l’a fait plus que bien."
En 2004, Frédéric Piquionne arrive à Saint-Étienne en provenance de Rennes et s’impose rapidement comme un cadre dans l’équipe détrônant les anciennes idoles de la montée de la L2 à la L1 : "Quand j’arrive, simplement je sais que je suis attendu au tournant. Il y avait Lilian Compan qui avait fait toute la Ligue 2 et qui était l’un des meilleurs joueurs de cette équipe. Ça devient mon remplaçant, compliqué de faire comprendre aux supporters qu’il y a un nouveau joueur qui arrive, qui va prendre la place de l’un des chouchous. Il faut faire ses preuves, ce n'est pas facile, on a beaucoup de pression. Premier match qu’on fait à Ajaccio, on va saluer les supporters, presque, ils nous crachent dessus parce qu’il n’ont peut-être pas encore accepté notre venue (Piquionne et Feindouno, ndlr). Quand tu es attaquant, il faut marquer des buts et mouiller le maillot."
L’ancien vert se rappelle alors le changement d’approche le concernant avec les supporters : "Ça a changé pour moi, à partir du moment où j’ai commencé à marquer, c’est vrai. C’étaient des matchs où Pascal et moi, on arrivait à avoir ce duo et cette relation spéciale, ça a été exceptionnel. Franchement on avait une équipe de fous avec Didier Zokora derrière, Fousseni Diawara, Hérita Ilunga, Vincent Hognon, Julien Sablé, David Hellebuyck, et Fred Mendy même ! Il y avait aussi Jérémie Janot, on avait une vraie équipe de copains."
À la fin de sa deuxième saison chez les Verts conclue par des performances mitigées, les temps sont plus durs pour Frédéric Piquionne. Des questions se posent, avant de finalement rempiler : "C’est compliqué à gérer (les supporters, ndlr). Il ne faut pas oublier que c’était ma cinquième saison dans le football professionnel. Compliqué de se faire siffler par ses propres supporters, compliqué quand tu commences à lire des banderoles sur toi pendant les matchs, quelle concentration tu peux avoir ? Cette année-là, avant la fin du championnat, j’avais dit au coach “écoute, pour moi c’est très dur, je n’y arrive pas, commence à prévoir l’année prochaine un autre attaquant parce qu’avec mes agents on va tout faire pour partir”. Je ne peux pas rester dans ce contexte-là. On m’a dit “mais non, ne t’inquiète pas, ça va s’arranger”. Finalement après des discussions, je suis resté. Ils ont recruté Ilan et on est reparti de plus belle. Un nouveau coach, une nouvelle dynamique, un nouveau système. Les six premiers mois qu’on fait avec Sainté sur la troisième saison (2006-2007, ndlr), c’est les six plus gros premiers mois que j’ai fait dans ma carrière, dans n’importe quel club. On tapait tout le monde. À domicile en tout cas, on avait un tarif de 3-0. Des fois je ne comprenais même pas la force qu’on avait à domicile. Déjà quand tu rentrais dans le couloir, c’était marqué Ici c’est le Chaudron. On arrivait, rien que la première action, profondeur directement, et le match démarrait. Paris ils sont venus, on les a tapés. Marseille ils sont venus, on les a tapés. Il n'y avait que Lyon où l’on y arrivait pas, mais le reste ils sont tous venus prendre leur raclée à domicile."
Piquionne est ensuite approché par d’autres clubs, et son envie de partir est renforcée par les discussions tendues tenues avec l’ASSE : "Tu as un club qui est Champion de France depuis quatre ans, qui est premier du championnat, qui vient te chercher (Lyon). Il y a des mots qui ont été très durs, de ma part et aussi de la part du club, parce que je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas aller dans le meilleur club français de l’époque. On m’a bien fait comprendre, “tais-toi, reste à ta place”. Les gens ne peuvent pas savoir. Autour de la table, quand tu vois le regard des dirigeants, qui te parlent d’une certaine manière. C’est donc comme ça ? Je dois m'asseoir, me taire, et faire comme vous, vous voulez ? Je n’ai pas compris pourquoi on ne m’a pas laissé partir et c’est pour ça que derrière j’ai eu des mots que les gens n’ont pas compris."
Pour rappel, Frédéric Piquionne s'estimant victime de la rivalité entre les deux clubs avait pris la parole dans la presse dans les colonnes du Progrès et de l’Équipe afin d’évoquer sa situation, tout en menaçant de mettre un terme à sa carrière. Une phrase retiendra l’attention de tout le monde à l’époque : "S'ils continuent à me traiter comme un esclave, je ne me laisserai pas faire. On arrêtera tout et je retournerai en Martinique. Je suis peut-être noir mais pas un esclave". Une déclaration qui le suivra toute sa carrière et dont le joueur s’était excusé auprès des supporters des Verts dix ans après avoir prononcé ces mots.
Piquionne reprend : "C’est une histoire de sous et c’est une histoire de gens qui ne veulent pas discuter avec leur joueur. Cette histoire de Lyon commence à partir du dernier match de championnat en décembre avant la trêve jusqu’au 31 janvier. On n’est pas là dans une situation, à se dire qu’ils sont venus à la dernière semaine et que moi je veux partir sur un coup de tête, que je décide de partir comme ça, non non non non ! Je ne faisais pas partie des meilleurs salaires, tu pouvais aussi me prolonger, tu ne veux pas que je parte, il me reste un an et demi de contrat, prolonge moi. C’est comme cela que ça se passe normalement ! Là non, ça a été “écoute, tu ne pars pas, c’est comme ça, tu fermes ta bouche et si tu n’es pas content, tu vas jouer en réserve”.
Au final et c’est là que je ne comprends pas... puisque je suis quand même parti, pas à Lyon, mais à Monaco. Pourquoi tout ce cinéma pour qu’à la fin tu me laisses partir quand même ? Parce que c’était Lyon ? Quand Sainté avait besoin d’argent, ils ont vendu Bafé (Gomis) à Lyon, ça ne leur a pas posé de problèmes, non ? Parce qu’il y avait de belles sommes ? Chaque mouvement a sa spécificité et la mienne était là. Malgré tout, je pars à Monaco, j’ai ma sélection avec les Bleus, grâce aux six premiers mois que je fais à Sainté et un an et demi après je vais à Lyon."